Les crèmes hydratantes sont-elles sans danger?

Le marché des crèmes pour l'eczéma est une vraie jungle dans laquelle il est difficile de s'y retrouver. Le Dr. Bellange vient de faire un exposé lors de la semaine mondiale de l'allergologie. Elle a accepté de répondre à mes questions.

Les cremes hydratantes sont elles sans danger?

photo de laure bellange
Dr. Laure Bellange

Un grand merci au Dr. Laure Bellange qui partage ses connaissances sur le choix des cosmétiques. Elle et diplômée d'un DES d'allergologie, un DU de cosmétiques au service de la santé cutanée. Elle est membre de la Société Française d'Allergologie dans le groupe de travail sur l'immunothérapie allergénique. Elle est secrétaire du GLYAL, association régionale lyonnaise d'allergologie.

 

Ø  Que choisir  :  une crème nourrissante, hydratante, réparatrice, cicatrisante …?                                                                                                               

Au quotidien, il faut appliquer quotidiennement une crème émolliente, c’est-à-dire hydratante, sur l’ensemble du corps.

Si on a des lésions d'eczéma, en plus des dermocorticoïdes, on peut appliquer une crème cicatrisante afin d’accélérer la guérison et éviter les surinfections.

Le terme nourrissant n’a pas de réelle définition en cosmétologie.

 

Ø  Est-ce qu’on peut se maquiller sur ce genre de crèmes ?

Il est possible de se maquiller après l’application d’émollients. Néanmoins, j’ai deux bémols.

Tout d’abord, il faut appliquer du maquillage de composition la plus saine possible (pas de filtre solaire, pas de parfum etc…). De plus, si on a une poussée de dermatite atopique sur le visage, il ne faut pas se maquiller, au risque de se sensibiliser aux cosmétiques et ne plus du tout pouvoir en appliquer par la suite.

 

Ø  Quels produits faut-il éviter dans la composition ?  phénoxyéthanol, paraffine…

Il faut savoir que les ingrédients sont notés par ordre décroissant de concentration dans la formule. Aussi, il faut savoir que chaque ingrédient va interagir avec les autres et avec le contenant. Donc plus courte est une formule, meilleure elle est.

Il faut se méfier des ingrédients qui ont créé des polémiques. Souvent, à postériori les études scientifiques ont été rassurantes, aux concentrations et usages utilisés pour les cosmétiques. De plus, les ingrédients qui remplacent ces ingrédients polémiques sont souvent pires. Par exemple, les conservateurs ayant remplacé les parabènes sont souvent perturbateurs endocriniens et allergisants. Ils sont plus nocifs que les parabènes. Mais souvent, le mal est fait dans l’opinion publique et les industriels changent leur formule.

Autre exemple, les ingrédients dérivés du pétrole. Non, on ne se met pas du mazout sur la peau. Ce sont des ingrédients très intéressants car ils sont neutres, inertes, n’interagissent pas avec les autres ingrédients, et sont vraiment stables dans le temps. Les incorporer dans une formule évite d’utiliser plein d’autres ingrédients.

 

Ø  Que valent les applications qui listent les produits suspects ?

Ces applications ne sont pas fiables. On ne sait pas qui est derrière.

Elles ne tiennent pas compte des changements de formule des marques. Et elles confondent danger et risque. C’est-à-dire qu’elles regardent la présence de tel ou tel ingrédient, sans tenir compte de sa concentration, de son usage (rincé ou non par exemple). Une image qu’on m’avait donnée et que je trouve très juste : si on croise un lion en ville, c’est dangereux. Alors que si je le croise au zoo dans son enclos, je ne crains rien. Pour les cosmétiques c’est pareil. Les applications ont tendance à confondre les deux.

Souvent, il n’y a aucun rationnel dans les produits qu’ils proposent en remplacement.

 

Ø  La sécurité ne serait pas de prendre des crèmes à base de produits naturels ?

Non, c’est une mauvaise idée. Naturel ne veut pas dire bon pour la peau ou la santé. Pour rappel, tous les plus grands poisons se trouvent dans la nature…Et actuellement, un tiers de la population souffre d’allergie. Les allergiques sont malades à cause des plantes et des arbres, tout ce qu’il y a de plus naturel…

Méfiance aussi sur tous les labels bio. Il y en a pléthore, dont certains  inventés par les industriels eux-mêmes, et qui ne veulent pas dire grand-chose. C’est juste un argument marketing.

 

Ø  Que pensez-vous des crèmes faites maison ?

Les produits "do it yourself" sont inadaptés et dangereux. Les laboratoires de cosmétologie sont stériles et incorporent chaque ingrédient de manière très précise. A la maison, on est trop exposé aux agents infectieux et on ne peut pas respecter les dosages. Aussi, on ne peut pas mélanger les ingrédients de manière optimale. On se retrouve donc avec des produits mal dosés, non homogènes et avec possibles bactéries et champignons.

En plus, l’origine des matières premières utilisées n’est pas toujours contrôlée. On croit mélanger les ingrédients A et B mais en fait il ne s’agit pas du tout de cela, plutôt des ingrédients C et D.

 

Ø  Que disent les réglementations ?

Les cosmétiques sont régis par la règlementation européenne CE 1223/2009. Elle évolue régulièrement. Elle indique la liste des ingrédients autorisés et interdits. Méfiance car certains ingrédients ne sont listés nulle part. Les industriels en profitent pour les utiliser de manière importante et pas toujours appropriée.

Normalement, avant la commercialisation, les industriels doivent remplir le Dossier Information Produit, l’équivalent de l’AMM pour les médicaments. Ce dossier comporte la liste des ingrédients et leur concentration, la méthode de fabrication, les résultats des tests d’efficacité et de tolérance. Certaines nouvelles marques ont tendance à mettre sur le marché des produits qui n’ont pas suivi toutes ces étapes obligatoires.

Jusqu’à peu, les cosmétiques étaient contrôlés par l’ANSM. Maintenant, ils sont contrôlés par la DGCCRF. Deux problèmes se posent. Cette structure s’intéresse plus à l’aspect fraude qu’à l’aspect qualité et sécurité du produit que ne le faisait l’ANSM. Aussi, ils sont débordés donc ne peuvent pas tout contrôler. Des nouvelles marques l’ont bien compris et en ont profité pour sortir plein de produits, sans faire les tests d’efficacité, de tolérance et de stabilité…

La règlementation sur les allergènes a aussi évolué récemment. Leur liste a plus que doublé en 2024. Les industriels doivent réactualiser toutes leurs formules, ou bien indiquer clairement la présence de 56 allergènes.

L’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité doit aussi contrôler les allégations et coups marketings des marques. Encore une fois, on constate que plein d’industriels en font fi…

On trouve aussi dans certaines enseignes des produits américains ou asiatiques, alors qu’ils ne suivent pas la même règlementation. On trouve dans certains produits des ingrédients interdits en Europe. Il faut donc être assez méfiant.

 

Ø  Peut-on avoir confiance dans les crèmes proposées par les dermatologues ?

Oui, on peut avoir confiance en les crèmes conseillées par les dermatologues. Les marques et gammes proposées sont bien connues, bien évaluées. Les dermatologues savent interpréter les formules et regarder quels ingrédients éviter.  Ils ont aussi le recul sur le marketing et les potentiels ingrédients dits miracles ou brevets soi-disant révolutionnaires.

Le médecin connait la pathologie de son patient et peut le conseiller au mieux.

 

Ø  Comment reconnaitre la publicité mensongère ?

Comme le dit le dicton, « plus c’est gros plus ça passe ». Des chiffres affichés d’efficacité très forts, ou des photos spectaculaires avant/après sont souvent douteux.

Attention aussi à toutes les mentions « produits enrichi en ». Si dans la formule on voit que l’ingrédient en question est en fin de liste, c’est qu’en fait il y en a très peu dans le produit, vu que pour rappel les ingrédients sont indiqués par ordre décroissant de concentration.

Des marques qui dénigrent les concurrentes sont aussi suspectes. C’est d’ailleurs interdit. Si elles sont bien, elles n’ont pas à rabaisser les autres mais mettre en avant leurs qualités.

Les marques qui clament le fait qu’elles ne testent pas sur les animaux utilisent un faux argument. Elles sous-entendent que d’autres le font, donc qu’elles sont plus vertueuses. Or, aujourd’hui les tests sur les animaux sont interdits, donc aucune marque ne le fait.

Enfin, comme dit plus haut, il faut se méfier de tous les labels et prix de consommateurs.

 

Ø  Quels sont vos conseils ?

Je conseille de rester sur des marques anciennes et bien connues. Il ne faut pas avoir peur des grands laboratoires qu’on trouve en pharmacie et qui sont souvent diabolisés. Au contraire, ce sont souvent eux les plus contrôlés et les plus rigoureux et honnêtes.

Il faut aussi rester sur les cosmétiques simples, avec peu d’ingrédients, et non parfumés.

Si une crème nous convient, la garder.

Si on veut en tester une nouvelle, l’appliquer d’abord au moins dix jours sur une petite zone de l’avant-bras pour voir si on la tolère.

Il faut savoir résister aux appels du marketing et faire confiance au médecin qui vous suit.

Le respect de la barrière cutanée est vraiment la base du traitement de la dermatite atopique. Laver avec un produit sans savon et hydrater quotidiennement la peau aidera à la soigner. Les gestes simples sont les meilleurs.




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